Anne Bonny
LE TRICOT, C’EST LA VIE
En tricotant, on acquiert des techniques et assimile des gestes. On s’interroge, cherche, tâtonne. C’est en se mettant en mouvement par soi-même qu’on franchit les obstacles. On fait, défait et refait. On apprend à décider, à déjouer les pièges, à réparer les erreurs – ou à choisir de les ignorer, de les dissimuler ou d’en tirer parti. Il n’y a ni juste ni faux, simplement ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Faire de son mieux suffit.
Anne Bonny
Nouer et renouer
Dans un geste simple et répétitif s’incarnent les boucles du temps et de l’espace connus, inconnus, vécus ou imaginés. Vertigineux, ce qu’il a fallu à l’humanité de connaissances, d’expériences, d’échanges, de voyages, de savoir-faire pour qu’un objet tricoté soit fabriqué ici et maintenant. Tout un monde est convoqué : la matière, les animaux, les plantes, la terre, l’eau, l’air, la lumière. Un infini auquel la tricoteuse, par un fil, se relie.
Tricoter le paradoxe
Conciliant les extrêmes, la pratique du tricot se situe entre le dedans et le dehors, l’intime et le collectif, l’immobilité et le nomadisme, le pragmatisme et l’esthétique. La douceur et la souplesse de la laine exigent la rigidité d’aiguilles acérées. La chaleur offerte par les vêtements et accessoires tricotés naît du froid de l’hiver et permet de l’affronter. Alignant les mailles, un esprit errant se focalise sur une tâche, une âme rêveuse concrétise un projet. À l’inquiétude, cette pratique répond par une prise sur le réel. À l’humeur impatiente, elle oppose la nécessaire répétition du mouvement, la succession des étapes, la lenteur de la progression.
Essentielle résistance
Un rang après l’autre, transformant une matière choisie avec soin en objet travaillé, la tricoteuse se dresse sans bruit face aux excès d’une écrasante et tentaculaire industrie. Étranger au circuit mondial survolté de production puis d’élimination des textiles, un vêtement tricoté est unique. Il reflète l’intériorité de la personne qui le porte : ses désirs se muent tranquillement en un objet du quotidien, capable de réchauffer le corps et l’âme.

